La santé en jeu(x)

Un programme complet et varié

À travers plus de 50 ateliers, les professionnels de la santé sont invités à découvrir en quoi et comment le jeu peut les soutenir dans leur pratique à travers 4 grands thèmes : la santé mentale, le handicap, les processus de groupe ainsi que la parentalité. L’objectif est également de leur proposer des formations ainsi que des ressources autour de la méthodologie et de la pédagogie ludique. Lors de ces deux journées, plus de 80 professionnels ont répondu à l’appel, preuve en est de l’intérêt grandissant pour le jeu.

Mais le jeu en vaut-il la chandelle ?

Si la question se veut provocatrice, elle n’a pourtant pas fait débat lors de cette table ronde : oui, ostensiblement, le jeu en vaut la chandelle. Pour différentes raisons, dans des contextes variés ou des situations très particulières, les professionnels de la santé font aujourd’hui appel à cet outil aux multiples facettes. Utilisé en tant que tel, le jeu peut par exemple permettre aux participants de se présenter, d’échanger et de développer leur pouvoir d’agir, individuel ou collectif.

Selon les conjonctures, il arrive aussi que certaines personnes ne parviennent tout simplement pas à mettre le doigt sur la problématique qui les submerge. C’est là que le jeu entre en piste. Son aura conviviale invite spontanément à dédramatiser la réalité afin de la représenter de manière plus ou moins formelle à celui qui sait voir. Tantôt support de dialogue, tantôt catalyseur de conscience, il installe dans le vécu de chacun une parenthèse où l’on peut s’éprouver pleinement.

Une manière positive d’aborder les choses

Pour Mathieu Blairon, directeur pédagogique à l’AMO TTC Accueil à Anderlecht, le jeu est aussi et surtout une méthode afin d’aborder différentes thématiques sous l’angle du « positif ». En effet, parler des assuétudes, de la violence ou encore des maladies sexuellement transmissibles en termes de prévention n’est pas toujours chose aisée, d’autant plus lorsqu’on s’adresse à des publics parfois fragilisés. Faire un pas de côté en utilisant le jeu permet selon lui de transformer un discours moralisateur jouant sur la peur en une expérience positive et réflexive.

Il met d’ailleurs superbement ses propos en lumière avec cet exemple frappant. En s’adressant à l’assemblée, il pose les questions suivantes :

• « Qui parmi vous a le permis de conduire ? » 3/4 des participants lèvent la main.
• « Qui parmi vous a passé le permis de conduire pour la liberté ou le besoin ? » Presqu’autant de mains se lèvent.
• « Qui parmi vous a passé le permis de conduire pour apprendre à changer une roue ou à faire un constat d’accident ? » Personne ne lève la main.

 

L’évidence nous saute aux yeux : pourquoi la prévention ne pourrait-elle finalement pas se faire sous l’angle de la confiance, du plaisir et du dialogue ?

Un jeu, des animations

L’animation est également au cœur de la discussion. Considéré comme tel, le jeu n’est finalement « qu’un » assemblage de bouts de carton. Tout son intérêt se dévoile une fois l’objet mis en expérience par un animateur qui, par sa médiation, rend ensuite possible le débat. Sous son égide, le jeu permet également d’essayer de nouvelles manières d’être ensemble et de repenser le collectif.

Sans oublier qu’une des particularités du jeu est de permettre une communication non verbale à laquelle il faut également être attentif. Le geste et le regard sont en effet un langage à part entière qui respecte la pudeur de celui qui ne désire pas s’exprimer verbalement.

Le rôle de l’animateur est donc essentiel et se posent dans la foulée toute une série de questions « techniques » :

• Doit-il rester debout ou s’assoir en compagnie des joueurs ?
• Doit-il laisser la table s’autogérer ou au contraire être prévenant, quitte parfois à imposer sa présence au groupe ?
• À quel moment doit-il intervenir dans les débats et doit-il seulement le faire ?
• Doit-il jouer son rôle d’expert ou uniquement garantir la faisabilité des échanges ?

 

Pour l’avoir constaté à de très nombreuses reprises, plus ce positionnement sera anticipé avant l’animation, plus celle-ci sera fluide et efficace.

Une mise en jeux

Lors d’une journée, nous avons eu l’occasion d’animer un atelier sur le jeu et les relations sociales et de participer à plusieurs animations proposées par d’autres professionnels du jeu.

Ludeo

Faisant suite au workshop que nous avions organisé en novembre 2022, cet atelier propose aux participants de découvrir les relations sociales qui se créent et se tissent à travers le jeu. L’animation interroge la création d’une cohésion de groupe et son fonctionnement en tant qu’entité ou qu’individu au sein de celui-ci. Les sujets visés sont relatifs à la thématique de la journée et concernent la santé, abordée grâce au jeu « Quitte ou double » et « Compatibility » :

• Combien de tasses de café son consommées par jour en Belgique
• Quel est le pourcentage de personnes ayant une addiction pathologique aux jeux vidéo selon l’OMS
• Que représente le chocolat pour vous ?

 

Des questions d’apparence anodine mais qui, par le prisme participatif du jeu, déclenchent de réels débats de santé publique. Lors du débriefing, de nombreux ressentis ont été mis en lumière qui ont surpris en premier les participants eux-mêmes. Le jeu permet en effet de faire un pas de côté pour se voir soi et les autres sous un nouvel angle, pour autant qu’on ait ce retour réflexif sur l’expérience.

Eqla

Avec son animation « Ouvrez les jeux, fermez les yeux », la ludothèque d’Eqla sensibilise à la déficience visuelle et propose des pistes ludiques aux professionnels qui y sont confrontés dans leur pratique. Ici, masque sur les yeux, on joue à Skull et à Maître Renard afin d’éprouver ses sens. Après cette expérience aussi intense que stimulante, on débriefe sur toutes les adaptations réalisées afin de rendre les jeux accessibles.

Découvrez plus en détail l’incroyable travail de ces ludothécaires passionnées.

Baobab

Rendez-vous ensuite chez Baobab où Charline nous présente différents jeux afin de briser la glace et d’apprendre à se connaître. On y retient l’utilisation du jeu Compatibility qui permet de communiquer avec son binôme et en grand groupe sur des thématiques comme « les 5 valeurs les plus importantes à nos yeux ». Jeux d’ambiance incontestés, Just One et Fun Facts sont également présentés ici comme outils de sociabilisation.

Drugs’Care

Petit détour ensuite par l’atelier de Drugs’Care, un service de réduction des risques pour les usagers de drogues légales et illégales de la province de Luxembourg. Y est présenté Toxocity, un jeu créé par d’anciens ou actuels consommateurs dont l’objectif était de créer un outil de réduction des risques qui puisse servir à d’autres usagers.

Dans ce jeu basé sur le principe du Monopoly, ils cherchent à faire ressentir aux joueurs ce que c’est que d’être un consommateur qui navigue dans le circuit de la consommation. On y est confronté aux drogues et puis au manque, aux problèmes de santé ou de justice. Ici, comme le dit François Thomasset, animateur pour le service Drugs’care, « on ne joue pas qu’avec l’argent [contrairement au Monopoly], on joue avec sa vie. Et ce n’est pas juste ce qu’on a mais tout ce qu’on est qu’on risque de perdre. ». Un projet poignant qui témoigne d’une réalité sensible.

 

Ludovortex

La journée se termine avec la découverte de Ludovortex, un jeu créé par LUDO asbl en partenariat avec PIPSa. Cet ovni ludique « facilite l’articulation des mécaniques ludiques et des compétences à mobiliser pour atteindre les objectifs de prévention et de promotion de la santé. »[1]. Grâce à un ingénieux système de cartes, Ludovortex permet entre autres de :

• Concevoir un jeu
• Analyser et indexer un jeu
• Adapter un jeu
• Tester ses connaissances ludiques
• Interroger l’expérience ludique
• Débriefer

Support étonnant à la discussion, à la réflexion et à la création ludique, voici une proposition intéressante à découvrir ici.

En résumé

Si le jeu reste encore utilisé ici en tant qu’outil et non pas pour l’objet en tant que tel, les débats intenses nous prouvent que les mentalités évoluent. Aujourd’hui, le jeu est peu à peu envisagé comme une expérience à animer, à débriefer, sans oublier la dimension de plaisir, qui doit être inhérente à toute expérience ludique. Le chemin est encore long, mais cette philosophie que Ludeo partage et tente de véhiculer depuis des années parvient doucement à obtenir sa légitimité auprès de professionnels de plus en plus nombreux, tous horizons confondus.

Découvrez ici la liste des intervenants.

[1] https://ludovortex.wordpress.com/jeu-outil-pedagogique/ site consulté le 05/04/2023.