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Au fond des choses - 23 Juin 2021

Jeux et relations sociales

Formation CEDD

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Public : animateurs en écoles de devoirs

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animateurs-CEDD

Depuis 2016, Ludo asbl et Ludeo mettent en place, à la demande de la CEDD, des formations à destination des écoles de devoirs afin d’introduire le jeu dans la pratique professionnelle des animateur.trice.s.

Le jeu de société, une activité… sociale

La dimension sociale est intrinsèque au jeu de société. Rassembleur et convivial, il est prétexte à de nombreuses interactions sociales. Mais quelles sont-elles réellement ? Comment les interpréter et les analyser ? Les jeux de société coopératifs favorisent-ils toujours la collaboration et sont-ils la panacée pour lutter contre les conflits ? Offrent-ils réellement un rôle et une place à chacun ?

À l’aide de jeux soigneusement sélectionnés, nous proposons dans cette formation des pistes de réflexion concernant les différentes relations sociales qui existent dans et à travers les jeux et attirons  l’attention sur les différents points à prendre en considération en tant qu’animateur.

La communication non-verbale

En choisissant le jeu The Mind, nous mettons en lumière le fait que les relations sociales peuvent exister au-delà des mots.

Principe du jeu

Le jeu The Mind est un O.L.N.I (Objet Ludique Non Identifié) aussi intrigant que déstabilisant. Composé de cartes numérotées de 1 à 100, il se joue en différents niveaux à la difficulté évolutive. Au premier niveau, les joueurs reçoivent une carte au hasard. Le but est de replacer celle-ci dans un ordre croissant… sans se concerter ! Au deuxième niveau, les joueurs reçoivent deux cartes et ainsi de suite jusqu’au niveau ultime, l’« extase spirituelle ».

Mise en expérience

À l’explication des règles, les participants sont très perplexes : pour eux, le jeu ne fonctionnera pas. Et pourtant, au bout de deux ou trois tours, ils se rendent rapidement compte que la magie opère : ils arrivent à poser les cartes sur la table en une suite (presque !) ordonnée.

Retour sur expérience

Dans cette expérience de jeu, chacun se regarde, se jauge et s’évalue car oui, la communication passe également par des attitudes, des ressentis et ici une évaluation du temps, seul indicateur commun à tous les joueurs. On apprend à connaître les réactions des uns des autres : « il a tendance à jouer vite », « elle prend du temps pour poser ses cartes » et ce qui semblait impossible à la lecture des règles devient réalisable grâce à la confiance qui s’instaure dans le groupe et à la difficulté qui fédère et relie les participants qui sont tous dans la même « galère ».

Stress et communication

Certains jeux sont soumis à une pression extérieure, comme celle du  temps. Nous tentons ici de démontrer les conséquences que cela peut avoir sur le groupe de joueurs.

L’effet leader

Souvent matérialisé par un sablier, le temps instaure une toute autre dynamique à l’intérieur du groupe qui doit trouver les meilleures actions à faire dans un temps imparti pour « rentabiliser » ce temps.

Le risque que peut parfois engendrer ce genre de jeu est d’instaurer un « effet leader » : en fonction du caractère de chacun ou du degré de compréhension du jeu, il peut arriver qu’un joueur ordonne aux autres le déroulement des actions à effectuer. Intentionnel ou non, ce comportement peut avoir des conséquences plus ou moins négatives sur l’expérience de jeu des autres participants.

Retour sur expérience

Dans le jeu Cupcake Academy, le but est de déduire comment emboîter des moules de taille et de couleur différentes et de représenter les mises en scène des différentes cartes le plus rapidement possible. Cependant, malgré un objectif commun, il met rapidement en évidence le fait qu’un jeu coopératif ne garantit pas forcément la coopération entre les joueurs. Sans barrière ni attention, un jeu tel que celui-ci peut frustrer ou renforcer un comportement timide et hésitant. Dans le cas contraire, il se révèle être un parfait exemple de coopération et d’échange !

Oser prendre des risques

Les relations sociales peuvent s’installer à plusieurs niveaux dans un groupe et c’est ce que nous avons voulu montrer avec le jeu Quitte ou double.

Principe du jeu

Le but de ce jeu compétitif en équipes est de répondre à des questions très générales : « Combien de personnes peut-on mettre dans la maison blanche ? », « Quelle est la taille de la barbe la plus longue ? », etc. Pour cette expérience, les participants constituent des binômes et se consultent entre eux afin de proposer des réponses sur lesquelles ils ont ensuite l’occasion de parier collégialement.

Retour sur expérience

Quitte ou double permet de créer ou renforcer une relation entre les joueurs d’un même binôme car ils sont amenés ici à communiquer ensemble pour se mettre d’accord sur les réponses. L’avantage de ces équipes est d’endosser à plusieurs la responsabilité en cas d’échec, là où un The Mind est bien plus « punitif » : « tu t’es encore trompé », « c’est à cause de toi qu’on a encore perdu ».

Il offre en outre une porte de sortie bienvenue aux binômes qui doutent de leur réponse car ils ont la possibilité de parier sur celles des autres pour tenter de marquer des points. Cette règle est « décomplexante » pour les joueurs qui osent prendre des risques sans crainte d’être stigmatisés par le groupe en cas d’erreur.

En tant qu’animateur

Comme toujours, plusieurs questions se posent en amont : laissera-t-on ou non le choix des questions aux joueurs ? Comment composer les équipes ? Faut-il plutôt privilégier l’homogénéité ou l’hétérogénéité des compétences et des caractères au sein des équipes ? Quel sera le degré d’implication de l’animateur ? S’interroger sur ces différents paramètres permet de définir et de poser un cadre à l’animation. En tant qu’animateur, on est responsable de la « sécurité psychologique » de chacun, tout en permettant au jeu de faire vivre des expériences aux joueurs et d’apprendre à chacun à gérer les relations sociales.

Il est également utile à la fin de verbaliser l’expérience : « avez-vous trouvé facilement les réponses ? », « comment les avez-vous choisies ? », « qu’est-ce qui vous a poussé à parier sur cette réponse ? ». Stimuler le dialogue permet de passer du binôme au groupe et d’échanger sur les stratégies des uns des autres.

Interactions sociales et jeu individuel

Lors de nos différentes formations, nous entendons souvent qu’il existe peu ou pas d’interactions dans certains jeux compétitifs. Forts de nos expériences passées, nous avons voulu déconstruire cette idée ou du moins ouvrir d’autres perspectives auprès des animateurs en école de devoirs.

Principe du jeu

Nous avons choisi pour cela le jeu Take it easy, dans lequel chaque joueur possède un plateau individuel et un set de tuiles. Un joueur en tire une au hasard et tous les autres doivent la retrouver et la placer librement sur leur plateau. Le but est de former des lignes verticales ou diagonales complètes qui sont de même couleur et valeur chiffrée afin de marquer un maximum de points. Par exemple, une ligne complète de 5 tuiles de « 9 » rapportera 45 points, etc.

Retour sur expérience

animateurs en écoles de devoirs jouant à Take it easyLorsque nous interrogeons les participants à la fin de la partie, ceux-ci confirment le manque d’interactions sociales… et pourtant ! En tant qu’observateurs, nous leur faisons remarquer qu’ils n’ont pas arrêté de communiquer entre eux : « allez, pioche une bonne tuile maintenant », « ah tu as commencé au milieu du plateau toi ! », « marrant, on a posé les mêmes tuiles aux mêmes endroits »,… Quoi qu’ils en pensent, ils n’ont pour ainsi dire pas arrêté de discuter !

Cette interaction est ici possible car un jeu comme Take it easy est « sécurisant » : on ne doit pas s’inquiéter pour des ressources qui viendraient à manquer et on se concentre uniquement sur son plateau personnel. Cela permet même aux joueurs de se relâcher et de discuter librement tout en jouant. Pour nous, les interactions sociales sont aussi fortes dans un jeu compétitif que dans un jeu coopératif et peuvent parfois prendre une tournure moins directe et plus informelle qui fait qu’on ne les considère pas toujours comme telles.

Des rôles différents, une place pour chacun

Lorsqu’on imagine un jeu coopératif, on pense directement à la cohésion de groupe et aux relations sociales et communicationnelles qui peuvent s’en dégager. Cependant, les rôles et les responsabilités de chacun peuvent varier des ambitions initiales, avec « l’effet leader » par exemple, comme nous l’avons vu précédemment.

Pour mettre en lumière cette réalité, nous avons proposé aux animateurs d’incarner différents rôles dans le jeu du crayon coopératif. Le principe est simple : un marqueur, placé sur un support en bois, est guidé par les joueurs grâce à des ficelles qu’ils doivent tendre afin de réaliser un dessin commun.

Les pointillés

animateurs jouant au crayon coopératifLe premier exercice proposé est de repasser sur des pointillés afin de dessiner une forme initialement prévue. Nous n’avions rien imposé aux participants mais malgré le fait qu’ils soient tous acteurs d’un objectif commun, on remarque rapidement que chacun prend spontanément un rôle différent : leader, conseiller, suiveur, initiateur d’idées,… Pour contrer cet effet, nous demandons à deux participants d’un même côté de fermer les yeux, puis à un participant sur deux et d’être attentifs à leur ressenti en fonction des différents scénarios imposés.

Le constat est frappant : le tracé est bien plus net lorsque la moitié du groupe a les yeux fermés. En effet, ceux ayant les yeux ouverts sont alors vraiment obligés de communiquer avec les autres pour faire comprendre les actions à mener : « tire la corde vers toi pour que le marqueur redescende », « relâche la pression », « soulève le marqueur pour qu’on reprenne plus loin », etc.

Un mot à déterminer ensemble

Le deuxième exercice a été d’écrire le mot « courir » à la troisième personne du singulier du subjonctif imparfait. Il a d’abord fallu trouver la bonne orthographe… et se mettre d’accord sur celle-ci ! Par cette expérience, nous voulions montrer que les rôles se distribuent plus ou moins spontanément entre les joueurs en fonction de leurs compétences relatives ou spécifiques (cognitives, motrices, sociales, etc.) et qu’ils (les rôles) ne sont pas forcément les mêmes d’une manche à l’autre ou d’un jeu à l’autre. Le tout est d’avoir connaissance des appétences de chacun et de « jouer » avec.

Un dessin collectif

Enfin, nous avons demandé aux animateurs de dessiner la carte de la Belgique. Après s’être mis collectivement d’accord sur la manière de la réaliser, une phrase nous a particulièrement marqué : « on va commencer par les 3 petites bosses au-dessus de la Belgique… ». Cette phrase très visuelle a permis de confronter les visions de chacun par rapport à la carte de la Belgique mais aussi et surtout de retenir cet aspect dans sa composition. Cette expérience a permis aux participants de se rendre compte de la force de cet objet-jeu et du nombre de possibilités et de champs d’application dans lequel il peut être transféré !

Les points d’attention de Ludeo

  • En tant qu’animateur, il est important de veiller à ce que chacun ait une place dans le groupe, aussi « ténue » soit-elle.
  • Quelle place laisse-t-on à l’autorégulation du groupe ? Faut-il lui laisser le temps de trouver sa méthode, essais et erreurs compris ? Cette autorégulation dépend également des objectifs de l’animation : la priorité est-elle de « réussir » ? De travailler en groupe et que tout le monde participe ? De permettre aux membres du groupe de découvrir de nouvelles compétences ?
  • Afin d’atteindre les objectifs de l’animation, il faut réfléchir aux consignes ludiques à mettre en place : doit-on suivre les règles ? Ou déjà anticiper ce qui peut se passer dans le jeu en distribuant directement les rôles par exemple (yeux fermés ou ouverts, leader ou suiveur,…).
  • Le débriefing d’une animation est aussi important que sa préparation : verbaliser l’expérience permet de prendre conscience des comportements et actions qui se sont déroulés dans le jeu : « avez-vous plutôt donné ou suivi les consignes ? », « avez-vous endossé un rôle différent selon les manches du jeu ? », « vous êtes-vous senti frustré ou rassuré de suivre les consignes d’autrui ? », « avez-vous discuté de qui allait donner les consignes ? ».

Pour conclure

Les jeux quels qu’ils soient favorisent la communication, que ce soit sous forme non verbale (The Mind), entre partenaires au sein d’un binôme ou d’une équipe (Quitte ou double) ou entre adversaires (Take it easy). La prise de parole peut quant à elle être collective ou se faire à tour de rôle (Unusual suspect ou Top Ten).

Contre toute idée reçue, on remarque que l’interaction sociale n’est pas liée à un style de jeu (stratégie, adresse, ambiance,…) et qu’elle sera parfois même plus forte au sein d’un jeu purement compétitif que dans un jeu coopératif. Comme nous le disons souvent d’une manière un rien provocatrice : quel mérite y a-t-il à collaborer dans un jeu coopératif ? C’est dans un jeu compétitif que la collaboration prend tout son sens et tout son sel, quand gagner ne signifie pas écraser ses adversaires.

Le jeu de société est donc un outil parfaitement adéquat pour favoriser et expérimenter diverses formes d’échanges et d’interactions sociales entre joueurs. Le jeu peut aussi nous offrir l’opportunité d’endosser différents rôles, de manière spontanée ou de façon orchestrée par les règles ou l’animateur. A ce dernier de s’interroger préalablement sur la diversité des rôles pour en contrôler les effets et ne pas hésiter à les redistribuer. Il lui appartient également de créer un cadre suffisamment sécurisant et bienveillant, pour que le jeu permette à chacun d’interagir de manière plus ou moins forte avec les autres et de s’ouvrir selon son degré de pudeur. La magie opérant alors, l’animation peut souvent nous embarquer bien au-delà de nos attentes…