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Au fond des choses - 18 Fév 2021

Le jeu comme outil de connaissance de soi

Le stress à la loupe !

Infos

Date : 14 octobre 2020
Horaire : 9h30-16h30
Public : mixte (animateurs, enseignants, ludothécaires)

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le-stress

Ludeo a au cœur de son ADN le jeu comme terrain d’expérimentation. Plus que des réponses, les formations organisées ont surtout pour objectif d’interroger les pratiques de chacun, de les remettre en question et en perspective en fonction des buts visés.

Sommaire :
Introduction
1. De quoi t’as peur ?
1.1. Réflexion
1.2. Les points d’attention de Ludeo
1.3. Conclusion
2. Ça va trop vite !
2.1. Présentation des jeux
2.2. Réflexion
2.3. Les points d’attention de Ludeo
3. Lion, gazelle ou grenouille ?
3.1. Présentation des jeux
3.2. Réflexion
3.2.1. Le stress de lutte
3.2.2. Le stress de fuite
3.2.3. Le stress d’inhibition
3.3. Conclusion
4. Et pour finir
Sources et notes

Introduction

Dans le cadre de l’exposition « Jeux de langage » à la Maison de la Francité, Ludeo a proposé une formation[1] inédite en se penchant sur la capacité du jeu à nous apporter des connaissances sur nous-mêmes.

Son hypothèse est que discerner et identifier les appréhensions face à différents types de jeux permet la (re)connaissance de soi. Apprendre à se connaître, « Γνῶθι σεαυτόν »[2], permet ensuite de différencier et gérer sa propre attitude de joueur pour améliorer son attitude professionnelle face à des groupes. Un dépassement de soi dans la valorisation de l’autre.

Pour éprouver et s’éprouver, c’est le stress qui a été mis sous la loupe de ce « labo-Ludeo ». Définit comme étant « un état réactionnel de l’organisme soumis à une agression brusque »[3], le stress se manifeste à différents moments et sous différentes formes selon chacun.

Dans l’imaginaire collectif, le stress est peu présent dans le jeu, plutôt perçu comme une activité plaisante et donc peu stressante. Mais l’éventuel stress qui peut apparaître dans un jeu est-il forcément négatif ? Sommes-nous tous égaux face au stress ? Quels jeux sont susceptibles de provoquer une forme de stress et comment y réagir ? C’est à ces questions que Ludeo va tenter d’apporter un éclairage, une réflexion… voire d’autres questions !

Pour avoir un regard interne, Ann, responsable communication chez Ludeo, a joué le rôle d’insider en participant pleinement à cet atelier tenu secret par ses collègues jusqu’alors. Elle vous propose de découvrir ici comment se passe une matinée de formation chez Ludeo, avec ses pièges, ses moments de réflexions et ses échanges dans un cadre convivial, bienveillant et respectueux de chacun.

1. De quoi t’as peur ?

Maison de la Francité, 9h30, huit jeux sont posés sur la table et on commence en douceur avec Laura et Olivier qui nous distribuent des post-it de couleur que l’on doit poser sur les boîtes :

  • Les jaunes sur les jeux auxquels j’ai envie de jouer
  • Les roses sur les jeux auxquels je n’ai pas envie de jouer

1.1. Réflexion

Une fois que chacun a placé ses post-it, Ludeo nous propose de sortir de nous-même et de nous interroger sur nos choix. Par cette maïeutique, on s’interroge sur ses propres actions et sur les processus mentaux qui nous ont permis de faire le tri.

Rapidement, les réponses fusent : certains ont été séduits par le titre du jeu, un titre sur les mathématiques donnait par exemple très envie. D’autres ont fait leurs choix en fonction de la connaissance qu’ils avaient déjà du jeu : je le connais, je suis rassurée, je me sens à l’aise et donc j’ai envie d’y jouer. Et même s’il ne faut pas se fier à la couverture d’un livre jeu, force est de constater qu’un grand nombre d’entre nous l’a fait malgré tout.

Boîtes de jeux sur lesquelles sont collés des post-it

Dans ce premier atelier, on se rend compte que l’image qu’on a d’un jeu peut diverger fortement d’une personne à l’autre et que parfois sans s’en rendre compte, un stress naît dès la présentation d’une boîte de jeu.
Le cerveau, cette machine efficiente, a souvent tendance à faire des projections sur le moment à venir, en fonction du look, du nom ou encore de la taille de la boîte, AVANT même l’explication des règles. Des a priori qu’il n’est pas toujours évident de déconstruire mais qui peuvent parfois être anticipés pour peu qu’on ait conscience des conséquences.

1.2. Les points d’attention de Ludeo

Ludeo se méfie des recettes toutes faites et des vérités qui peuvent en découler. Aussi Laura et Olivier attirent-ils simplement l’attention des participants sur les mécanismes que peut engendrer le stress :

  • Ces sentiments, ces émotions, il faut penser que d’autres les ressentiront très certainement aussi. En tant qu’animateur, il est important d’être à l’écoute de son ressenti, d’être attentif à « ce qui m’a surpris » afin d’anticiper les réactions et les craintes des joueurs, quel que soit leur âge.
  • Il est également important de conserver à l’esprit qu’une boîte de jeu n’est pas anodine et qu’elle impliquera forcément certains types de comportement comme de l’envie, de l’excitation ou du stress.
  • Pour désamorcer des situations avant qu’elles ne deviennent périlleuses ou vouées à l’échec, il est parfois nécessaire de dire une petite phrase qui détournera le stress de sa cible initiale. Par exemple, un jeu avec des questions peut engendrer du stress : « Je ne me sens pas capable », « Je suis nul en culture générale », « J’ai peur de me ridiculiser », « J’ai peur du regard des autres ».
  • Il ne faut pas hésiter à introduire un jeu « Vous pensiez que c’était de la culture générale, mais c’est plus subtil que ça, on va voir ça ensemble ! ».
  • Il est important – primordial – d’instaurer un climat de confiance : « Peut-être que vous n’allez pas aimer ce jeu mais qui sait, laissez-vous surprendre. Et si ce n’est pas le cas, ce n’est pas grave, vous aurez essayé ! ». C’est ce qui fera de vous un réel animateur.

 

A une petite chose, l’inquiétude donne une grande ombre.
Proverbe Suédois.

 

1.3. Conclusion

Nous venons de voir que les jeux de « culture générale » peuvent générer du stress. En vérité, chaque catégorie de jeu peut générer du stress chez un joueur. On peut par exemple être confronté à une personne qui déteste les jeux de stratégie, par peur de ne rien y comprendre. Ou qui a peur des jeux de rapidité, car elle se sait peu réactive. Ou encore quelqu’un qui ne supporte pas les jeux d’ambiance, de peur de devoir faire le clown devant l’assemblée.

En ce sens, on peut dire que le jeu expose l’intime et les failles du joueur au vu et au su de tous, entraînant une position inconfortable pour celui qui y est confronté. Une mise en danger qui, faisant appel à nos comportements les plus primitifs, nous procure du stress.

Il est donc important – essentiel – de maîtriser le jeu et de connaître nos propres réactions face à lui pour anticiper le stress chez les autres et le démanteler. Pour ce faire, on peut faire référence aux actions du jeu et reconnecter le joueur à la réalité. L’humour est également un bon vecteur de dédramatisation. On peut aussi soutenir le joueur et l’encourager. Avec le rappel perpétuel que le jeu permet de recommencer et de s’améliorer. Alors au fond, pourquoi stresser ?

2. Ça va trop vite !

Deuxième atelier, on se demande cette fois à quelle sauce on va être mangés. Sur la table, 3 jeux dont le format suggère observation et rapidité. Les groupes se forment, les parties se lancent et au bout de 45 minutes, nous avons eu l’occasion de jouer à tous les jeux.

2.1. Présentation des jeux

Si ces jeux ont en commun le stress potentiellement engendré autour de la table et le fait de se jouer en « temps réel[4] », ils ont toutefois des singularités :

  • Dans Cupcake Academy, il y a un stress engendré par rapport au temps du sablier. Si ce jeu est coopératif, la contrainte du temps peut favoriser l’apparition d’un leader qui prend la direction du jeu sans laisser assez de place aux autres. Face à cela, certains joueurs peuvent se sentir irrités, se « rebeller » ou au contraire, se plier aux choix du leader, « pour le bien de tous ».
  • Pick a dog est un jeu compétitif où on joue tous en même temps pour récupérer des cartes selon certaines contraintes. Le stress est engendré par le fait qu’à tout moment, un joueur peut ravir la carte qu’on convoite ou dire « stop » et arrêter immédiatement la partie. À la moindre erreur, toutes les cartes sont perdues !
  • Enfin Stay Cool est un jeu d’ambiance qui demande au joueur actif de répondre à deux questions en même temps, l’une oralement, l’autre « par écrit », avec des dés, sur le temps d’un sablier. Un jeu très exigeant pour le joueur actif !

2.2. Réflexion

Lorsqu’on s’interroge sur le jeu qui nous a procuré le plus de stress, tous les participants sont unanimes : Stay Cool n’est décidément pas un principe facile à respecter ! Pourtant, c’est aussi le jeu qui nous a apporté le plus de plaisir et de nombreux fous rires, preuve que stress et plaisir ne sont pas forcément antinomiques.

Nous nous sommes également surpris à nous aider les uns les autres, ce qui est plutôt étonnant dans un jeu compétitif. Mais c’est finalement le plaisir de jouer qui l’emporte.

 

« Personne ne veut apprendre à perdre, car qui veut devenir un « perdant » ?
Il faut simplement apprendre à accepter de perdre, car la victoire et l’échec font partie du jeu.
Olivier Grégoire

 

2.3. Les points d’attention de Ludeo :

Pour Ludeo, le rôle de l’animateur est un rôle à ne pas prendre à la légère si on a le désir de bien faire les choses. L’animateur doit à la fois faire partie du groupe et être à l’extérieur pour savoir ce qu’il faut dire et à quel moment. Il doit « sentir » le groupe et garder à l’esprit que :

  • L’utilisation de certains termes peut parfois être problématique : « Nous allons découvrir un jeu de rapidité ». Cette phrase toute simple peut parfois procurer du stress et un repli du joueur.
    Comme nous l’avons déjà mentionné, il est nécessaire de préparer son animation à l’avance pour anticiper au mieux les réactions. Il est aussi parfois utile de dédramatiser le jeu, en faisant un tour « pour du beurre » par exemple ou en retirant le sablier pour la première partie. Il faut ancrer le jeu dans la réalité et l’adapter au public.
  • Le stress est un état subtil qui peut prendre différentes formes. Il faut percevoir ce qui se cache derrière les mots, les actes et être à l’écoute des joueurs. Sans oublier que pour certains, le stress est une source de plaisir, à condition de ne pas se laisser submerger.

3. Lion, gazelle ou grenouille ?

Pour le dernier atelier de la journée, le thème qui nous est proposé est… le stress. Comme on s’y attendait un peu à celui-là, c’est presque décontractés que nous nous rassemblons autour des tables de jeux !

3.1. Présentation des jeux

  • Zik est un jeu d’ambiance dans lequel un joueur doit faire deviner une chanson à l’aide de cartes « onomatopées » placées sur la table. Allez-y pour fredonner « Que je t’aime » en Tsing – Pouet – Blam, les seuls mots que vous pouvez utiliser !
  • Yokaï est un jeu de mémoire. Sur la table, des cartes de 4 couleurs différentes sont mélangées et étalées en un carré de 4 sur 4. À son tour, on peut regarder deux cartes et en déplacer une. Le but étant, sans communiquer, de rassembler chaque couleur ensemble.
  • Space Builder est un jeu de spatialisation. Chaque joueur dispose de carrés illustrés et d’un plateau. Le but est de replacer le plus vite possible les éléments sur son plateau par rapport à une illustration tirée au hasard.

3.2. Réflexion

Après avoir joué aux trois jeux, il est intéressant de se questionner sur le stress qu’ils nous ont potentiellement donné : est-ce que le stress change d’un jeu à l’autre ? Que remarque-t-on chez nous ou chez les autres ?

Olivier et Laura nous ont ensuite demandé d’associer à chaque ressenti de jeu un animal : le lion, la gazelle ou la grenouille. Autant vous dire que pour le jeu Zik, je me suis personnellement sentie lion-gazelle-grenouille, soit un drôle d’animal qui n’avait qu’une seule envie : se rouler en boule !

Le stress est associé au cerveau reptilien, celui qui commande les instincts, dont celui de la survie. Cela peut se traduire dans le jeu par certains comportements qui semblent « plus forts que nous ». Le cerveau limbique correspond à celui de l’émotion : la douleur, le plaisir, la peur, etc. Enfin le cerveau préfrontal[5] est le siège de différentes fonctions cognitives comme le langage et le raisonnement. Cette zone du cerveau est celle qui s’est le plus développée au cours de l’évolution de l’homme, du primate à l’hominidé.

Selon une approche neurocognitive et comportementale[6], il existe 3 grands types de stress : le stress de lutte, de fuite et d’inhibition. Ceux-ci se manifestent de manière différente et dépendent de la personne ET du contexte.

3.2.1. Le stress de lutte

Le lion est le symbole du stress de lutte. Son instinct est de gagner, d’attaquer et peut se traduire par des phrases comme « j’ai raison ! », « tu es bête ou quoi ? », « il m’agace l’autre », « bon on avance ? », etc.

On remarque dans l’attitude du corps quelques changements :

  • Agressivité
  • Regard droit, fixe
  • Voix forte, cris
  • Crispations
  • Corps vers l’avant
  • Gestes amples
  • Poings serrés

3.2.2. Le stress de fuite

La gazelle quant à elle est plutôt le symbole du stress de fuite. Son instinct est d’échapper à la menace : « j’ai le trac », « j’ai tout oublié », « je dois faire pipi », « j’ai chaud tout à coup », « je ne sais pas quoi faire », « j’ai besoin de bouger mes mains/pieds », etc.

On remarque dans l’attitude du corps quelques changements :

  • Agitations
  • Regards dans tous les sens
  • Rougeurs
  • Déglutition difficile
  • Mouvement nerveux
  • Mal au ventre
  • Envie d’aller aux toilettes
  • Envie de se gratter
  • Envie de triturer des objets
  • Rire nerveux

3.2.3. Le stress d’inhibition

La grenouille quant à elle est le symbole du stress d’inhibition. Son instinct recherche la protection : « je suis nul », « je n’y arriverai pas », « de toute façon je vais perdre », etc.

On remarque dans l’attitude du corps quelques changements :

  • Fatigue
  • Regard vers le bas, absent
  • Larmes dans les yeux
  • Voix basse
  • Visage pâle
  • Posture de pantin écroulé
  • Inertie
  • Tête dans les mains

3.3. Conclusion

Bien sûr, le trait est ici un peu grossi mais il est tout de même intéressant pour l’animateur de conserver ces images à l’esprit et d’avoir la réaction appropriée par rapport au type de stress. Par exemple, sur-protéger une grenouille aura peut-être l’effet inverse qu’escompté et renforcera même le tempérament incertain de la personne. La grenouille appréciera peut-être cependant une main réconfortante se posant sur son épaule, chose qui décuplera le stress de la gazelle qui associera cette main à un danger de plus.

Le stress peut être régulé par le cerveau préfrontal, qui permet de s’adapter et de « tempérer » ses pensées primitives. Dans ce cas, on relativise et on réinstaure un climat de confiance  car, finalement, « ce n’est qu’un jeu ».

4. Et pour finir

Qu’on le veuille ou non, le stress est une réalité de terrain. En préparant sa séance de jeu, il est important de prendre ce paramètre en compte et de garder à l’esprit le fait qu’il puisse apparaître sous différentes formes.

Il est également crucial de respecter le stress de l’autre et de ne pas le minimiser. Cela ne ferait que renforcer ce sentiment de stress et d’insécurité. Dans cette perspective, mieux vaut dès lors éviter tout propos annihilant, par exemple « Ne stresse pas, ça va aller ». Il est même préférable d’accueillir ce stress et de le tourner en un challenge à relever.

Le stress s’évacue parfois en se confrontant à la réalité. C’est à l’animateur de tout mettre en place pour maximiser l’expérience en accompagnant le joueur, sans jugement de valeur. Si l’expérience est positive, le joueur qui réessayera une nouvelle fois le jeu sera moins stressé ou pourra mieux l’appréhender.

Enfin, il peut aussi être utile  de verbaliser l’expérience : « qu’aurais-je pu mieux faire ? », « j’ai réussi car j’ai fait ceci », « j’aurais pu améliorer ma stratégie si j’avais pensé à cela », etc. Mais ce qu’il faut surtout, c’est dédramatiser : l’échec dans un jeu n’est absolument pas une fatalité !

Ainsi s’achève ce reportage au cœur de la formation Ludeo, une journée pleine d’apprentissages et de rebondissements, de discours souvent instructifs et parfois totalement inattendus mais ce qui se passe chez Ludeo reste chez Ludeo. Pour en savoir plus, il faudra participer à une de nos prochaines formations !

 

Si cela peut être résolu, il n’y a pas besoin de s’inquiéter, et s’il ne peut pas être résolu, l’inquiétude est inutile.
Dalaï Lama

 

Patrick l'étoile de mer dans Bob l'éponge fait de la méditation

Sources et notes

[1] Formation donnée le 14 octobre 2020 à la Maison de la Francité. consultée le 12/02/2021
[2] « Connais-toi toi-même », maxime sur le fronton du temple d’Apollon à Delphes.
[3]  Source : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/stress/74848 consultée le 12/02/2021
[4] Le jeu en « temps réel » s’oppose au jeu au tour par tour où l’on découpe le temps de manière arbitraire et où chaque joueur a le temps de réfléchir à ses actions. Au contraire, le « temps réel » impose une contrainte temporelle, au moyen d’un sablier par exemple. Source : http://dictionnaire.sensagent.leparisien.fr/JEU%20DE%20STRATEGIE%20EN%20TEMPS%20REEL/fr-fr/ Consultée le 18/02/2021.
[5] Source : https://www.mieux-etre.org/L-Approche-NeuroCognitive-et-3323.html consultée le 12/02/2021
[6] Source : https://www.cairn.info/revue-securite-et-strategie-2012-3-page-76.htm consultée le 12/02/2021