Reportage - 08 Mar 2022
Le jeu de rôle
Une place en ludothèque ?
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Le jeu de rôle, on en a tous certainement déjà entendu parler. Univers qui intrigue pour les uns, ambiances obscures pour les autres, il revêt dans nos imaginaires des formes parfois bien différentes. Et en réalité, ce mélange de formes est au cœur de son ADN : jeu de table, il peut se jouer avec des pelletées de dés, en compagnie d’un maître de jeu, avec ou sans figurines, souvent sans plateau, parfois avec un décor, s’adaptant ainsi aux envies d’évasion de chacun.
Les débuts du jeu de rôle
Né aux États-Unis dans les années 70 sous la plume de Gary Gygax, Donjon & Dragons (1974) connaît un succès fulgurant et inspire de nombreux joueurs grâce à son univers médiéval-fantastique fortement emprunté à J.R.R Tolkien. Mais les « rôlistes » font néanmoins partie d’une culture de niche, rapidement qualifiée de « sous-culture ». À l’époque, la pratique est même parfois qualifiée de déviante, et ce sentiment est encore renforcé par différents médias en référence à de tragiques faits divers.
En 1982, en Virginie, Irving Pulling, le fils de Patricia A. Pulling se suicide. Sa mère pointe alors du doigt l’influence néfaste du jeu de rôle sur les jeunes. Elle crée une association, Bothered about Dungeons and Dragons[1]et « parvient à convaincre un bon nombre de chrétiens très conservateurs de l’existence d’un lien entre jeu de rôle, satanisme et suicide »[2]. En France, à Carpentras, la profanation en 1990 d’un cimetière juif [3] est imputée à des joueurs de jeux de rôle. L’histoire racontera quelques années plus tard qu’il s’agissait d’actes néonazis. Deux exemples parmi une longue série démontrant qu’à cette époque, il n’est pas bien perçu de jouer aux jeux de rôle, d’un côté de l’Atlantique comme de l’autre.
De l’obscurité à la lumière
Malgré ce contexte instable, le jeu de rôle s’est développé au fil des ans, se libérant peu à peu de son carcan médiéval-fantastique afin d’explorer de nouveaux univers : post-apocalyptique, steampunk, western, policier, … Des maisons d’édition indépendantes voient le jour et de nombreux rôlistes prennent la plume afin d’écrire leurs propres scénarios. Depuis, beaucoup de jeunes redécouvrent le jeu de rôle à travers la pop culture ou à travers des plateformes comme Youtube, où certains influenceurs mettent en évidence le lien entre le jeu vidéo et le jeu de rôle. En 2016, ce dernier s’offre même une jolie publicité en s’affichant sur Netflix dans la célèbre série Stranger Things. Accusé autrefois de tous les maux, le jeu de rôle retrouve peu à peu ses lettres de noblesse.
Du jeu de rôle en ludothèque
Suite à ces différentes apparitions dans les médias, il y a aujourd’hui un regain d’intérêt pour le jeu de rôle. Depuis quelques années, il fait même son entrée dans le domaine professionnel : les entreprises s’en inspirent pour réaliser des teambuildings, formations et autres événements car il s’agit d’un moyen efficace pour « se mettre à la place de », ou « jouer un rôle ».
En ludothèque, la demande augmente également : vrais amateurs ou simples curieux, le public est à la recherche de « nouvelles » expériences. À la frontière du théâtre, de l’improvisation, de la littérature et du jeu, le jeu de rôle intrigue et attire. À Bruxelles, les ludothécaires s’organisent afin d’échanger sur leurs pratiques et partager leurs expériences.
Du JDR oui, mais par où commencer ?
Il est parfois intimidant de se lancer tête baissée dans une pratique qu’on ne connaît pas. Le jeu de rôle demande un maître de jeu et une équipe de joueurs, un apprentissage des règles souvent conséquentes, au-delà du budget que peuvent coûter certains livres lorsqu’on veut en faire l’acquisition.
Pour donner le goût aux enfants ou aux adultes, les ludothécaires conseillent de passer par des jeux comme Il était une fois ou Pour la reine, de la gamme For the story. Sans avoir à créer une fiche personnage complexe ni à jeter des dés pour résoudre des choix cornéliens, ces deux types de jeux permettent de libérer la parole et de construire collectivement une histoire. Ils offrent la possibilité d’incarner un personnage et de s’évader de la réalité en réalisant des choix qu’on ne ferait pas personnellement. Un aperçu parfait de ce que peut être le JDR.
Vers des kits d’initiation
Pour ceux qui voudraient franchir le pas, les kits d’initiation constituent un bon format : règles accessibles, scénarios courts et définis dans le temps, ils permettent au joueur de toucher du doigt le JDR et de voir si la mécanique lui convient. Pour les ludothécaires, c’est un format pratique à avoir en rayon, qui peut se louer facilement dans des délais raisonnables.
Quant aux plus petits, ils ne sont pas en reste. Petits détectives de monstres, s’il faut n’en citer qu’un, propose aux enfants dès 3 ans de se plonger dans le rôle d’enquêteur. Le but ? Investiguer autour d’une situation mystérieuse et découvrir les fauteurs de troubles (des petits monstres rigolos). Accompagné d’un adulte qui lit le livre, l’enfant réalise des choix, se confronte à ses peurs et raconte par la suite l’aventure qu’il a vécue. Une histoire originale à construire ensemble avant d’aller dormir !
Des stages pour découvrir le jeu de rôle
Certaines ludothèques comme celle de Molenbeek (Speculoos) organisent pendant les vacances des stages de JDR. L’idée est pour eux de montrer les nombreuses facettes de cette pratique, comme la réalisation d’une fiche « personnage », la peinture de figurines ou la création de décors et de scénarios. Une manière également d’aborder la place de « maître de jeu » qui, par son temps de préparation, est rarement plébiscitée. Et pourtant, ce rôle apporte tout autant de plaisir que celui de joueur – si pas plus vous diront certains ! Reste une nouvelle fois à donner le goût, à démystifier la fonction et à aborder la chose avec plus de légèreté.
Des initiations pour ados et adultes
Nicolas, qui anime du JDR à la ludothèque d’Ixelles une fois par mois, a l’habitude d’initier les nouveaux joueurs avec des univers « classiques », comme le western ou le policier. Pour lui, il s’agit d’une porte d’entrée idéale car « les joueurs connaissent et partagent déjà la plupart des codes qui résonnent facilement dans leur imaginaire ». José et Valentin, de la ludothèque de Watermael-Boitsfort, proposent quant à eux deux séances de JDR par mois. Et chaque mois le thème change, ce qui leur permet de jongler avec les scénarios, les univers mais aussi et surtout d’intégrer régulièrement de nouveaux joueurs autour de la table.
Il existe également des clubs de JDR comme les Saigneurs du Chaos par exemple, très actif à Bruxelles. Leurs locaux, ouverts 24h/24, 7j/7 offrent la possibilité de se retrouver avec un groupe de joueurs ou de découvrir le JDR en bonne compagnie.
Le rôle des ludothèques
Au-delà de l’animation se pose pour tous la question du rôle de la ludothèque : doit-elle initier les joueurs dans cette démarche et les accompagner dans leurs découvertes ou doit-elle plutôt fidéliser les joueurs sur du plus long terme, en proposant par exemple des campagnes de plusieurs mois ? S’il n’y a pas de réponse tranchée, les ludothécaires ont cette vision sociale de la ludothèque : lieu d’inclusion, d’échange et de partage, elle possède intrinsèquement une dimension culturelle et d’accès à tous.
Quelles perspectives pour le JDR dans les ludothèques bruxelloises ?
De nouvelles réunions entre ludothécaires sont prévues dans les semaines à venir afin de poursuivre les échanges et d’imaginer une pratique collective qui pourrait convenir à tous les bruxellois et les bruxelloises : se spécialiser dans un univers spécifique, proposer aux joueurs des lieux de rencontre dans différentes ludothèques, accueillir des joueurs qui voudraient être maître du jeu lors d’une séance… les idées ne manquent pas ! Grâce au dynamisme de nos ludothécaires passionnés, il ne reste plus qu’à jeter une poignée de dés afin d’écrire l’histoire ensemble.
Retrouvez toute l’actualité des ludothèques, associations et clubs de jeux dans notre agenda.
[1] https://journalduncurieux.com/2020/01/14/le-jeu-de-roles-antichambre-du-meurtre-des-suicides-et-du-satanisme/ Site consulté le 02/03/2022.
[2] https://www.unidivers.fr/jeu-de-role-histoire/ Site consulté le 02/03/2022.
[3] « Un grand nombre de théories ont été échafaudées et de pistes suivies lors de l’enquête, jusqu’au plus fantaisistes […]. L’un des exemples marquants est la stigmatisation du jeu de rôle, durablement étiqueté comme rassemblement de profanateurs, casseurs, satanistes et autres profils à tendance mordbide. Dans les mois suivant ces allégations (initiés par Mireille Dumas dans son émission Bas les masques sur France 2), nombre de clubs et de boutiques spécialisées ont été fermés ou mis sur surveillance par divers organismes. https://www.classicistranieri.com/fr/articles/a/f/f/Affaire_de_la_profanation_du_cimeti%C3%A8re_juif_de_Carpentras_67b8.html Site consulté le 03/03/2022.