Aller au contenu

Reportage - 15 Avr 2021

Les jeux de société à l’ère du Covid-19

Interview de Cannelle Charlet, l'une des associées de Geronimo Games

geronimo-games-rond

Lors du premier confinement, les jeux de société ont eu un succès fou : créateurs de liens, de partage et de vivre ensemble, ils ont permis à de nombreuses familles d’occuper leur temps, entre adultes ou avec des enfants. Mais alors qu’une troisième vague confine à nouveau toute la Belgique, quel est aujourd’hui le sort réservé aux jeux de société ? Comment les acteurs ludiques s’organisent-ils au quotidien ? Cannelle Charlet, l'une des associées de Geronimo Games, une société belge de distribution de jeux de société, apporte quelques éclairages à nos questions.

Quelle est la philosophie de Geronimo Games ?

Notre philosophie est de construire des relations durables entre les producteurs de jeux (les éditeurs) et le monde du commerce (les magasins) au Benelux. La proximité que nous entretenons avec nos partenaires nous a permis de nous démarquer et de grandir petit à petit dans un climat de confiance. Nous accueillons aujourd’hui de très beaux éditeurs comme Sit Down, Blue Orange ou encore BLAM ! et nous avons vraiment le désir d’évoluer ensemble.

Depuis deux ans, nous développons également le marché néerlandophone, en Flandres mais aussi aux Pays-Bas. Quand je regarde notre parcours, de la création en 2014 à maintenant, on a fait du chemin ! On peut dire qu’on est petits… mais costauds ! [rire]

Comment faites-vous pour enrichir votre catalogue de nouveaux jeux ?

Nous avons des contrats d’exclusivité avec « nos » éditeurs. Nous nous engageons à distribuer tous les jeux édités de leur catalogue, les sorties passées mais surtout les futures, ce qui nous assure un flux constant de nouveautés. Très souvent, nous recevons leurs prototypes que nous testons et sur lesquels nous donnons notre avis. Cette manière de travailler main dans la main est humainement très enrichissante.

Et pour créer de nouveaux partenariats, cela se passe comment ?

Cette partie du travail est bien plus compliquée ! Auparavant, nous nous rendions sur différents festivals comme Essen, Cannes ou encore Paris est ludique. En une journée nous avions l’occasion d’essayer un grand nombre de jeux et d’avoir une vision assez précise de ce qui nous intéressait. Nous étions également toujours à l’affût du buzz ludique, écoutant les conversations autour de nous qui nous indiquaient les jeux « tendances » du moment.

Aujourd’hui, tout se fait principalement via les réseaux sociaux, que nous sondons quotidiennement. On observe et on se renseigne énormément sur les jeux « hype » dont les joueurs parlent. Mais l’information sur le web est difficile à traiter car elle est à la fois partout et nulle part et il est certain qu’avec la quantité de jeux et de prototypes produits, on ne peut pas tout voir. Il faut prévoir du temps pour l’inconnu, avoir les yeux (surtout) et les oreilles partout et parfois se laisser séduire, quitte à être déçus. Cette démarche est un peu stressante car elle demande d’être en permanence très réactif pour être le premier à sauter sur la balle !

Qu’est-ce qui vous guide dans la demande d’un prototype de jeu ?

C’est vraiment une question de feeling entre ce qui semble fonctionner ou pas. Derrière un écran, c’est bien plus compliqué d’être dans ce ressenti. Le terrain nous manque car nous avions pour habitude de regarder et d’observer les joueurs en action. Leurs réactions et l’ambiance autour de la table donnent souvent de précieux indicateurs sur l’impact que pourrait avoir le jeu auprès de la communauté par la suite. Ce n’est donc vraiment pas évident de trouver des pépites en ces temps de crise et nous nous concentrons donc plus particulièrement sur des jeux déjà édités mais qui ne sont pas encore distribués en Belgique, en français ou en néerlandais. Dans le métier, c’est ce qu’on appelle de la « localisation ».

Comment avez-vous fonctionné avec les magasins en temps de Covid ?

Etant donné qu’il n’était plus possible de se rendre sur place pour présenter les nouveaux jeux, nous avons réalisé des vidéos sur des thèmes spécifiques (enfants, coopératif…) afin d’aider les magasins à conseiller leurs clients, surtout en fin d’année. On a également organisé des rendez-vous en visioconférence, ce qui nous permettait d’expliquer les règles plus en détail, même si ce n’est évidemment pas la même chose qu’en présentiel. D’autant que le contact physique avec les magasins est dans notre ADN : nous souhaitons qu’ils puissent par exemple faire un début de partie, toucher le matériel et prendre connaissance du produit fini car c’est plus facile pour eux de se faire un avis sur le jeu et de le conseiller à leurs clients par la suite.

Pour soutenir les magasins, nous avons également réalisé une campagne de sensibilisation visant à consommer local car la petite boutique du coin nécessite notre vigilance à tous afin de garder ses portes ouvertes. Et s’il y a bien un aspect positif à cette crise, c’est que les clients ont été très réceptifs et ont soutenu le commerce de proximité, ce qui est une excellente chose, en totale adéquation avec notre philosophie. Cependant, la crise a été et reste compliquée à gérer, cela va sans dire. Ceux qui n’ont pas la possibilité d’avoir ou de créer un e-shop sont dépendants des réservations et des demandes notamment via les réseaux sociaux 7j/7, 24h/24. Avec ce côté instantané et exigeant de tout, tout le temps et tout de suite.

Comment avez-vous géré l’arrivage des nouveautés ?

Personne n’aurait pu prédire un confinement de cette ampleur. Les nouveautés ont donc continué à arriver dans notre stock, au même rythme que d’habitude. Au début, nous étions dans une situation un peu délicate : les magasins de jeux, considérés comme non essentiels, étaient fermés, et nous ne pouvions donc rien leur vendre. Mais à leur réouverture, ils étaient très à cheval sur les dates de sortie, car de nombreux joueurs avaient du temps libre et étaient en attente de nouveautés… encore plus qu’avant ! La vie a donc repris une sorte de normalité dès ce moment-là.

Quelles ont été les éventuelles complications ?

Le plus compliqué à gérer a été la rupture de stock des jeux dits « classiques ». Aucun distributeur n’était préparé à ce qu’autant de nouveaux joueurs profitent de l’occasion pour pousser la porte du monde des jeux de société. De nombreux best-seller comme Kingdomino chez nous mais aussi Catane ou encore Les aventuriers du Rail chez Asmodée ont été pris d’assaut. Même si nous avons une dynamique de réimpression très régulière de ces valeurs sûres du jeu de société, nous avons été totalement pris au dépourvu. Mais, une fois de plus, qui aurait pu le prévoir ?!

Est-ce que cela a changé quelque chose dans votre manière de travailler et d’évaluer l’avenir ?

Aujourd’hui, nous ne faisons pas plus de stock qu’avant. Nous nous assurons qu’un jeu ait des quantités d’impression raisonnables mais nous ne surproduisons pas car cela constitue toujours un risque que nous ne souhaitons pas prendre.

Cependant, nous commençons à voir maintenant les impacts de la crise sur la production de jeux. Les délais ont fortement augmenté dans les usines européennes et les frais de livraison des jeux produits en Chine ont été multipliés par cinq, c’est assez incroyable ! Cette production qui fonctionne au ralenti donne à réflexion à plusieurs éditeurs qui ont décidé de faire une sélection dans leurs sorties afin de ne produire que les meilleurs d’entre eux.

Quant au reste, il faut anticiper les plannings au maximum tout en relativisant et en espérant qu’on revienne rapidement à la normale. Mais chez Geronimo, on y croit, et en se serrant les coudes, on y arrivera !

Les indiscrétions ludiques :

– Quel est ton meilleur souvenir ludique ?

Je me suis retrouvée un jour en festival à jouer à Wink, le jeu des clins d’œil, avec une famille que je ne connaissais pas du tout. C’était très particulier, ils étaient très réservés et en jouant, ils ont commencé à se détendre, ça a vraiment brisé la glace de manière flagrante et je garde de cette expérience un très bon moment ludique. Je suis d’ailleurs ravie de la réédition de ce jeu qui me rappelle plein de souvenirs !

– Quel est LE jeu de ton enfance ?

Petite, j’adorais Destin : choisir sa carrière, son avenir… Je me projetais vraiment dans ce jeu et j’adorais avoir la carte des « jumeaux ». Aujourd’hui, je ne suis pas sûre que je la souhaiterais encore mais je serais ravie d’en refaire une partie ! [rire ].

– Quel est LE jeu que tu voudrais avoir créé ?

Lucky Numbers, sans hésiter. J’adore ce plaisir immédiat et fluide, à la fois simple, zen mais avec une dose de réflexion malgré tout si on le souhaite… Je trouve qu’il s’agit vraiment d’une belle réussite !

– Si tu étais un style de jeu ?

Je serais un jeu de placement de tuiles, comme dans le jeu Kingdomino : simple et efficace et qui plaît à toute la famille !

– Quelle est la couleur de pions avec laquelle tu joues toujours ?

Bleu. Il y a des choses indiscutables dans la vie !

– Si tu étais une pièce de jeu de société ?

Un dé, pour toutes les faces qui le composent et sa part de hasard à chaque lancé.

– Si tu étais un festival de jeux ?

Cannes, indéniablement, pour ses nombreux à côté très sympathiques : une ambiance chaleureuse et son bord de mer… C’est d’ailleurs le festival qui m’a le plus manqué cette année car c’est une parenthèse toujours bienvenue dans notre année ludique !

Ludeo remercie profondément Cannelle Charlet pour son temps et sa spontanéité. Retrouvez Geronimo Games :

  • Sur Facebook : https://www.facebook.com/geronimogamesbenelux
  • Sur Instagram : https://www.instagram.com/geronimogames/
  • Sur le web : http://geronimogames.com/